jeudi 22 mai 2008

La bibliothèque du château de Beaufremont, d’après l’inventaire de 1565

On possède pour la connaissance du château de Beaufremont au XVIème siècle un document très précieux. Il s’agit d’un inventaire détaillé de l’ensemble des biens conservés au château (meubles, vaisselle, linge, objets, ...), rédigé en 1565. Cet inventaire a été réalisé au moment des querelles successorales opposant les familles de Madruce et de Tornielle au sujet de l’héritage du comte René de Challant, petit-fils de Claude d’Arberg, qui décède le 14 juillet 1565. On évoquera dans un prochain message l’issue de ce différend, qui aboutit en 1589 au partage en deux lots égaux du château et de la seigneurie de Beaufremont.

Toujours est-il qu’en 1565, à la mort de René de Challant, sa quatrième épouse, Péronne de la Chambre, occupe le château de Beaufremont. Elle observe les agissements de Philiberte et Isabelle, les deux filles que son mari a eu de son second mariage, mariées respectivement à Joseph de Tornielle et à Jean-Frédéric de Madruce, et qui se disputent l’héritage. Elle prend alors la précaution de faire dresser une estimation mobilière complète du château de Beaufremont qu’elle occupe afin de préserver ses droits d’épouse. Cet inventaire est réalisé du 20 au 30 novembre 1565 par trois officiers du duc de Lorraine, qui pièce après pièce, bâtiment après bâtiment, recensent l’ensemble du mobilier du château.

C’est ainsi que dans une pièce du château se trouvait un coffre de sapin qui renfermait les livres d’une bibliothèque qui, d’après les dates d’éditions, pourrait être celle du comte René de Challant. Voici ce que découvrirent les officiers chargés de faire l’inventaire :

« Item, les livres estant en ung couffre de sappin sans fermette et serrure, en la garderobbe sous la caige : et premier, la vie de Jésus-Crist en françoys escript, en un grand vieil livre rompu en partie ; ung aultre couvert de bazayne noire, intitullé Valère le Grand ; le tiers volume de Froyssart ; ung aultre intitullé le Livre des Saints Anges ; item, instruction du faict de la guerre, avec les figures debout, en françoys ; le premier volume de Froyssart ; la Légende des saincts, imprimée en parchemin ; les Annales des Gaules, faictes par le maistre Nicol Giles, imprimés en grand volume ; item, une Institution et preuve par maistre Guillaume Huilier ; l’Office du Saint Sacrement en ung livre couvert de parchemin ; Compendium historial des polices des empereurs ; ung petit livre intitullé Prologue d’honneur ; item, un livre couvert de parchemin, en italien, faisant mention des festes de l’année ; ung petit livre doré intitullé le Collège de Sapience fondé en l’université de vertu ; la Vie des Sainctz, en parchemin ; ung aultre livre intitullé Le premier livre des patauviens ; des tables de papier en personnaiges dédiées à feu l’empereur Charles ; ung aultre en roleau de papier contenant la généalogie et destente de la maison d’Austriche ; item, plusieurs vieilles lettres missives empacquetées en ung vieil drappeau. »

Il n’est pas forcément évident d’identifier l’ensemble des volumes qui composent cette bibliothèque, soit parce que leur titre est absent, ou bien parce que les descriptions ne sont pas suffisamment précises. On peut toutefois reconnaître dans cet inventaire :
- Valère le Grant, translaté du latin en françois, Lyon, Mathieu Husz, 1489, 2 tomes en un volume in-f° goth. de 152 et 152 f., ou Paris, Anthoine Vérard, 1500, in-f° de 179 et 172 f.
- Froissart (Jehan), Le premier volume des Croniques de France, Dangleterre, Descoce, Despaigne, de Bretaigne, de Gascongne, de Flandres et lieux circunvoisins, Paris, Anthoine Vérard, s.d., 2ème éd. ; Paris, Michel le Noir, 1505, 3ème éd. ; Paris, Anthoine Vérard, 1518, 4ème éd. ; Paris, Anthoine Couteau, 1530. Les 4 volumes des Chroniques forment 4 tomes de 213, 279, 172 et 80 f. (éd. de 1530).
- Ximenez, Le livre des Sains Anges, Genève, 1478, in-f° goth. de 189 f. (c’est le 1er livre imprimé à Genève) ; Lyon, Guillaume le Roy, 1486 ; Paris, Michel le Noir, 1505.
- Vallo, Du faict de la guerre et art militaire, tractant de l’office des capitaines et soldats, de assaulx et défenses … vaisseaulx … ponts … certes formes de secretes intelligences et signes et diverses conditions de singuliers combats, Lyon, Jacques Moderne, 1554, in-8° de 88 f.
- Légende des Saincts nouveaulx, Lyon, Barthélemy Buyer, 1477, petit in-f° goth. de 126 f.
- Nicole (Gilles), Les très élégantes, très véridiques et copieuses annales des très preux, très nobles, très chrestiens et très excellens modérateurs des belliqueuses Gaules, Paris, Anthoine Cousteau pour Galliot du Pré, 1525, 2 tomes en un volume in-f° goth. de 6-CLVIII et 4-CXLIIII f. (autres éd. En 1527, 1532, 1536, 1541, 1547).
- Compendium historial des polices des empires, royaumes et chose publique, nouvellement translaté du latin en françois, Paris, Nicolas Cousteau pour François Regnault et Galiot du Pré, 1528, in-f° goth. de 190 f.
- Doré (Pierre), Le Collège de Sapience fondé en l’Université de Vertu auquel s’est redue escolière Magdelaine, disciple et apostole de Jésus, Paris, Ant. Bonnemere, 1539, petit in-8° de 3-CLXVIII-7 f. ; Paris, Ruelle, 1555, in-16.
- Jacques de Voragine, La vie des Saincts en françois, imprimée à Paris, Paris, Anthoine Vérard, 1490, in-f° de 3-296 f. (c’est la seule édition portant ce titre).
- Scardeoni (Bern.), de Antiquitate Urbis Patavii et claris civibus Patavinis liber I, Bâle, 1560, in-f° (Histoire de Padoue formant 3 tomes en un volume).


Bibliographie : Cet inventaire, redécouvert dans les archives du château de Châtillon, en Vallée d’Aoste, a été publié intégralement par le Duc de Bauffremont, Inventaire du château et du fief de Bauffremont en 1566, Paris, Auguste Picard, 1928.

jeudi 15 mai 2008

La céramique de poêle du château de Beaufremont

Le château de Beaufremont, comme bon nombre de résidences nobles de Lorraine, a livré – et continue de livrer en dehors de tout contexte de fouille archéologique - une quantité non négligeable de mobilier céramique, la plupart du temps très fragmentaire. C’est ainsi qu’a été retrouvée lors d’un ramassage de surface dans les ruines du château une vingtaine de fragments de carreaux de poêle, plus ou moins bien conservés. Le contexte de cette trouvaille est inconnu et ne peut malheureusement être rattaché à aucune stratigraphie.
On distingue nettement deux séries, étudiées par Guillaume Huot-Marchand dans sa thèse de doctorat (voir bibliographie en bas de ce message) : une première, datable de la seconde moitié du XVe siècle ou du début du XVIe siècle, est composée de carreaux qui s’apparentent à des types courants en Lorraine à cette époque. Par contre, la seconde série s’avère beaucoup plus intéressante car elle regroupe une douzaine de carreaux recouverts d’émail stannifère blanc et bleu (voir photo) : la glaçure blanche est obtenue par un mélange d’oxyde de plomb et d’oxyde d’étain (donnant ce que l’on appelle communément la faïence), et le bleu par ajout d’oxyde de cobalt.

Toujours d’après G. Huot-Marchand, si une telle technique se rencontre déjà sur des tuiles et des carreaux de pavement dès le XIVe siècle en Bourgogne et dans les provinces du Nord, ces carreaux pourraient être les plus vieilles céramiques de poêle revêtues d’émail stannifère dans la région, car attribuable à la toute fin du XVe ou à la première moitié du siècle suivant. Des carreaux similaires, datables de la seconde moitié du XVe siècle, ont été retrouvé à Berne, en Suisse ; et un compte du Palais Ducal de Nancy de 1548-1549 fait mention de carreaux de pavement « amailliez de blanc, d’azure ».

Or, l’histoire du château nous apprend qu’il fut, de 1486 à 1518, la possession de Claude d’Arberg, issu de la famille des comtes d’Arberg, seigneurs de Valangin, originaire des environs de Neuchâtel, en Suisse. C’est certainement lui qui fit construire le nouveau logis seigneurial, beaucoup plus confortable que les anciens bâtiments, encore en élévation aujourd’hui. Un inventaire de 1565 nous informe que dans ce logis, la salle seigneuriale située au-dessus des cuisines était appelée le « grand poêle » car elle proposait justement ce système de chauffage.
On peut donc avancer l’hypothèse que la technique de l’émail stannifère ait pu être apportée de Suisse en Lorraine par Claude d’Arberg, d’abord à Beaufremont, puis qu’elle se soit ensuite diffusée dans la région et notamment à la cour ducale de Lorraine.

Bibliographie : Guillaume HUOT-MARCHAND, La céramique de poêle en Lorraine au Moyen Age et au début de l’époque moderne, 2006, Gérard Louis (contient les dessins et hypothèse de restitution du poêle de Beaufremont).

mercredi 7 mai 2008

Chantier d'étude du bâti au château de Beaufremont

Voici le compte-rendu succinct que j'ai publié dans les Annales de la Société d'Emulation des Vosges (2008), du second chantier d'étude du bâti du château de Beaufremont. Il s'est déroulé l'été dernier avec le soutien du GERAV (Groupe d'Etudes et de Recherches Archéologiques des Vosges), du LAMEST (Laboratoire d'Archéologie Médiévale de l'Est de la France) de l'université Nancy 2, et du Conseil Général des Vosges :

"Du 20 au 24 août 2007 s’est déroulé le second chantier d’étude du bâti du château de Beaufremont. Initialement prévu pour achever les travaux débutés durant la session 2006 sur le pont-levis occidental, les conditions météorologiques difficiles ont obligé les participants à se replier à l’abri, dans le niveau de cave d’une des tours du front nord du château, la tour d’Ardoises. Cette tour, ainsi dénommée en raison du matériau utilisé pour sa couverture, a été détruite en 1824 et il n’en reste aujourd’hui que le niveau bas. Cependant, on sait par plusieurs textes du XVIème siècle qu’elle comptait au dessus de celui-ci quatre étages, le dernier étant à usage de prison. La circulation verticale se faisait par le moyen d’un escalier à vis, qui débouchait au sommet sur une lanterne servant au guet. Extérieurement, elle présentait un plan en fer à cheval saillant de sept mètres sur la courtine et montait depuis le fond du fossé.

Le chantier d’étude a porté sur les élévations de la cave de la tour et du couloir d’accès à celle-ci depuis une autre cave située sous le Vieux Logis. Cette cave présente un plan carré de cinq mètres de côté aux angles abattus vers le nord. Elle est voûtée en berceau et offre un beau volume avec une hauteur de 3,50 mètres. Le mur nord est percé d’une grande fenêtre, aujourd’hui murée, dont l’embrasure cintrée pourrait rappeler le XIIIème siècle. Côté est, un corridor voûté de 2,50 mètres de long mène à une poterne permettant d’accéder au fossé. Quant au mur sud, il présente un large arc de décharge contemporain du reste de la maçonnerie (photo). A droite de ce dernier arrive le couloir d’accès à la cave.

Ce couloir d’accès de cinq mètres de long provient de la cave située sous le Vieux Logis. Il a été percé dans l’épaisseur de la muraille et est voûté d’un berceau brisé. Chacune de ses extrémités était fermée par une porte dont on a conservé les traces de gonds sur les murs. De chaque côté, le linteau est constitué par un monolithe triangulaire soutenu par deux impostes qui ont les caractéristiques de types existant à la fin du XIIIème et au début du XIVème siècle (photo). Côté tour d’Ardoises, un dégagement a été aménagé dans le couloir pour permettre à la porte de s’ouvrir sans gêner la circulation. Cette porte était fermée à l’aide de deux poutres en bois qui coulissaient chacune dans un trou pratiqué dans l’épaisseur du mur.

Parallèlement à ces relevés pierre à pierre des élévations, la prospection des anciennes carrières exploitées à proximité du château a permis d’identifier avec précision la nature des pierres utilisées pour la construction. On distingue nettement deux faciès. L’essentiel des murs et des voûtes sont maçonnés avec des calcaires à entroques de couleur ocre ; il s’agit d’une pierre vulgaire, peu esthétique et au débit mauvais, dont l’intérêt réside dans sa très grande résistance à l’écrasement. Quant aux encadrements de porte et aux impostes, ils ont été réalisés à l’aide de calcaires à polypiers blancs : il s’agit d’une pierre très esthétique, avec un très bon débit et une meilleure sédimentation, donc particulièrement bien adaptée à la taille. Ces deux qualités de pierre étaient présentes en abondance sur le site du château de Beaufremont, installé sur les calcaires du Bajocien de la côte de Moselle."
Un troisième chantier aura lieu du 18 au 22 août 2008, afin de compléter les travaux de relevé entrepris en 2006 et 2007, et notamment achever l'étude du pont-levis occidental et de la Tour d'Ardoises.

dimanche 4 mai 2008

Les branches cadettes de Beaufremont

Afin de ne pas se perdre entre les différentes branches cadettes issues de la tige principale de Beaufremont, en voici une rapide synthèse pour la période médiévale.


La première mention rencontrée dans un texte d’archive attestant de l’installation d’une famille seigneuriale à Beaufremont remonte à 1115. C’est à partir de cette tige principale, qui connaît une continuité masculine ininterrompue jusqu’au début du XVème siècle, que se constituent des branches cadettes, d’abord en Lorraine, puis en Bourgogne, sur les terres apportées lors des alliances matrimoniales contractées par les seigneurs de Beaufremont.

- Les branches lorraines
Les deux premières branches sont constituées par les fils cadets de Liébaud II de Beaufremont dans la première moitié du XIIIème siècle : Huard reçoit la terre de Bulgnéville et inaugure le lignage des seigneurs de ce lieu, qui perdurera jusqu’en 1440 ; quant à la branche des seigneurs de Removille, elle serait fondée par un certain Jean qui pourrait être le fils de Liébaud II (hypothèse à confirmer). Enfin, la troisième branche cadette possessionnée en Lorraine est celle de Ruppes, fondée en 1302 par Huard, fils cadet de Liébaud III de Beaufremont. Cette branche reprendra en main la terre de Beaufremont après le désastre militaire d’Azincourt (1415) et l’extinction de la continuité masculine des seigneurs de Beaufremont.

- Les branches bourguignonnes :
L’installation en Bourgogne s’opère au XIVème siècle avec Huard, fils de Gauthier seigneur de Beaufremont, qui hérite de la terre de Scey-sur-Saône apportée par sa mère Marguerite de Choiseul. C’est à partir de cette tige de Scey-sur-Saône que se constituent sur un siècle, entre le milieu du XIVème et le milieu du XVème siècle, quatre branches cadettes : chronologiquement s’implantent les branches de Fontoy et Ville, de Mirebeau, de Charny et enfin de Sombernon (cette dernière reprendra la tige principale de Scey-sur-Saône). D’autre part, la branche lorraine de Ruppes connaît l’implantation d’un cadet en Franche-Comté qui donne naissance à la branche des seigneurs de Soye, Vauvillers et Sennecey au milieu du XIVème siècle.

On a là un aperçu de la manière dont la famille constitue un réseau autour de deux tiges principales (celles de Beaufremont et de Scey-sur-Saône) et quadrille ainsi les territoires vosgien et bourguignon. Il ne faudrait cependant pas croire que toutes ces branches entretiennent des rapports fréquents entre elles.

jeudi 1 mai 2008

La chapelle Saint-Joseph restaurée

Dans quelques semaines sera inaugurée à Beaufremont la chapelle Saint-Joseph entièrement restaurée. Voici brièvement l’histoire de sa construction et de sa rénovation.

Avant d’être une chapelle, ce bâtiment fut un colombier. Sa construction remonte aux premières années du XVIIème siècle, après le partage du château et de la seigneurie de Beaufremont en deux parties en 1589. Le château ne comprenant alors qu’un seul colombier, le traité autorise un des co-seigneurs à en construire un second à l’angle sud-est du château, au-delà du fossé de la basse-cour. Il se présente sous la forme d’une tour circulaire à toiture conique, de huit mètres de diamètre, avec un mur épais d’un mètre. Malgré la transformation postérieure en chapelle, il a conservé aux deux-tiers de sa hauteur une randière, nom donné à la corniche destinée à empêcher les prédateurs de pénétrer dans le colombier.

A la Révolution française, le colombier, comme tout le reste du château, est saisi comme bien national. Il est plus tard racheté par l’abbé Mourot, curé du village, qui le transforme en chapelle dédiée à saint Joseph en 1870. A la mort de l’abbé, ses héritiers revendent la chapelle au duc et prince de Beaufremont, venu racheter en 1860 les vestiges du château, berceau de sa famille.

La transformation du colombier en chapelle n’a pas forcément été une initiative heureuse. Le percement des grandes fenêtres trilobées et le creusement des niches de part et d’autre de l’autel ont fragilisé sa structure, entraînant l’apparition de grandes fissures. De même, la mise en place d’un clocheton au sommet de l’édifice a occasionné des dommages à la charpente et à la toiture. Finalement, pratiquement abandonnée par le culte, la chapelle est dévastée par la tempête de 1999, et pillée à plusieurs reprises. Les vitraux qui la décorent sont la cible de jets de pierre.

Devant l’état de péril du bâtiment, l’Association des Amis du Château et du Site de Beaufremont projette la restauration et la réhabilitation de la chapelle Saint-Joseph. En collaboration avec l’association Chantiers Services de Neufchâteau, elle met en place en 2006 un chantier de réinsertion sociale comprenant une dizaine de personnes qui travaille à la restauration complète du bâtiment.