mercredi 18 février 2009

A propos de trois faux diplômes impériaux

L’histoire des origines des seigneurs de Beaufremont est brouillée par l’existence de plusieurs documents d’archives contrefaits, conservés à la Bibliothèque Nationale de France (nouvelles acquisitions latines, manuscrit 2085, f° 13 à 54). Il s’agit en particulier de trois faux diplômes impériaux en latin, visant à montrer l’ancienneté de la famille de Beaufremont et sa position prédominante dans le Saint-Empire Romain germanique dès l’an Mil.

Le premier diplôme émane de l’empereur Frédéric Ier Barberousse (1155-1190) et date du 14 novembre 1157 : l’empereur y confirme, à la demande de Liébaud de Beaufremont, de sa femme Pétronille (fille du comte de Dagsbourg) et de leurs fils Hugues, avec l’appui de l’impératrice Béatrice de Bourgogne, les privilèges et immunités du château de Beaufremont, et prend ledit château sous sa protection de la même manière que l’avait fait l’empereur Henri II (1014-1024) à l’égard d’Eudes, alors seigneur de Beaufremont. L’étude des sources d’archives sûres contredit ce diplôme puisqu’en 1157, le seigneur de Beaufremont ne s’appelle pas Liébaud mais Hugues, et qu’aucune alliance avec la famille de Dagsbourg (ou Dabo) n’a jamais eu lieu.
Dans un autre diplôme, daté du 14 septembre 1168, le même Frédéric Barberousse confirme à Hugues de Beaufremont le droit qu’il tient de ses prédécesseurs de battre monnaie au château de Beaufremont et dans tous les lieux qui en dépendent. Ici la supercherie est facile à mettre en évidence car le faussaire a entièrement copié cet acte sur le diplôme, authentique cette fois, par lequel l’empereur octroyait à l’évêque de Toul le droit de battre monnaie à Liverdun : il a recopié cet acte d’après l’édition qu’en fait Dom Calmet dans son Histoire ecclésiastique et civile de la Lorraine, très précisément dans la deuxième édition de 1748 (t. II, p. 364), car il recopie la date erronée de 1168 au lieu de 1178 (le comte de Bar Henri Ier y est cité comme témoin alors qu’il n’est comte qu’à partir de 1170).
Enfin, un troisième diplôme, daté de 1218, émane de l’empereur Frédéric II (1210-1250). Il concerne Liébaud II de Beaufremont, qualifié de cousin de Frédéric, et son château. L’original qui servit de modèle est un authentique de l’abbaye de Lure.


La question historique est de comprendre quand, pourquoi et par qui ces faux diplômes impériaux ont été confectionnés. La reprise de la date erronée dans le deuxième diplôme nous assure qu’ils sont postérieurs à 1748, année de l’édition de Dom Calmet. Léopold Delisle, qui s’était penché sur la question en 1890, affirmait reconnaître dans l’auteur de ces faux l’abbé du monastère d’Acey (Jura), Guillaume, qui vécut au XVIIIème siècle. Il avait en effet pu constater le savoir-faire de celui-ci en dépouillant des documents de l’abbaye d’Acey et en y découvrant des actes faux accompagnés d’exercices de plumes et d’essais assez réussis de contrefaçons de diverses écritures diplomatiques. Je pense personnellement que ces faux diplômes ont été élaborés en 1757 : en effet, le 8 juin 1757, le duc Louis de Bauffremont est fait prince du Saint-Empire. Il est évident que les 600 années qui séparent le texte de 1157 de l’obtention du titre de Prince d’Empire ne sont pas une coïncidence, et on comprend alors mieux le but recherché par ces diplômes : il s’agit de légitimer l’accession de Louis de Bauffremont au titre princier en faisant de son lignage un des plus fidèles et des plus anciens de l’Empire. Il est ainsi également intéressant de noter que le diplôme de 1157 fait expressément référence à l’appui de l’impératrice Béatrice, fille unique du comte de Bourgogne, qui apporte le comté en dot à l’empereur Frédéric (on retrouve la nécessité d’ancrer le lignage de Beaufremont dans l’histoire du comté de Bourgogne).