mardi 10 juin 2008

Le pont-levis du château

L’accès au château se faisait au nord-ouest du site par un pont-levis enjambant un fossé large et profond. Il s’agissait en fait d’un système mixte composé d’un double franchissement :
- une partie fixe constituée d’un pont dormant reposant sur une plate-forme côté extérieur et une pile centrale côté château,
- une partie mobile coté château consistant en un pont-levis qui vient reposer sur la pile centrale et dont l’axe est ménagé dans un avant-corps.
Ce système était protégé au nord par une grosse tour semi-circulaire, alors qu’au sud, une petite tour d’angle, appelée « tour au puits », ne semble pas avoir d’utilité défensive.
Cet ensemble a fait l’objet d’une étude lors du chantier de l’été 2006. Voici quelques informations sur son fonctionnement

La pile centrale du pont-levis mesure au sol 4,80 m de long sur 1,40 m de large, pour une hauteur maximale conservée de 5,10 m. Elle a fait l’objet dans les années 1980 d’un chantier de restauration qui a consisté en une reprise de maçonnerie de la partie supérieure, sur une hauteur d’environ 1 mètre. Le matériau utilisé pour sa construction n’est pas homogène. On y trouve notamment deux qualités de calcaire : des calcaires ocres et des calcaires blancs qui ont pris une patine gris-bleu. Ces deux types de matériaux ont été extraits localement. Parmi les blocs de calcaires blancs patinés gris-bleu, on observe plusieurs éléments taillés qui semblent attester d’un remploi de ces pierres dans la pile. De plus, on observe également la présence de quelques pierres de pavement et d’éléments de céramique architecturale (briques).


L’avant-corps côté château est composé de deux saillants affectant en plan la forme d’un quart de rond, encadrant un retrait central. Sa hauteur maximale conservée est de 4,50 m, le déroulé complet de la structure atteint 16 m. Cet avant-corps est construit en avant du rempart, dans le fossé ; le saillant sud s’appuie d’ailleurs sur un affleurement calcaire. Les murs conservés, qui correspondent à la base de l’avant-corps, présentent un fruit. Contrairement à la pile centrale du pont-levis, l’ensemble de la construction est homogène, et ne semble pas présenter de traces de reprises, hormis pour le saillant sud qui a fait l’objet d’un remontage contemporain au niveau de son arrondi.

A partir des observations faites durant le chantier, on peut proposer une chronologie simplifiée de la manière dont se faisait l’accès au château :
- 1ère phase : l’accès se fait par un système dont on ne possède pas de trace ; la partie mobile du pont est sans doute constituée par des planches qu’on enlève en cas de siège.
- 2ème phase : on décide d’améliorer la défense de l’accès au château en y installant un pont-levis à flèches. L’option choisie est alors de ménager au devant de l’entrée primitive un avant-corps maçonné accueillant le nouveau système (le pont, actionné par des bras, vient s’encastrer en position haute dans la feuillure de la porte). La distance entre la pile du pont et le retrait central de l’avant corps étant de 3,60 m, on peut estimer que le pont-levis avait une longueur supérieure à 4 mètres ; de même, la disposition de l’avant-corps et de la pile plaide pour un système à entrée double, c’est-à-dire un accès piéton et un accès charretier, avec deux ponts distincts. L’intérêt est d’éviter d’abaisser le pont-levis charretier alors que l’essentiel de la circulation était faite de piétons et de cavaliers isolés.
- 3ème phase : la pile centrale du pont-levis semble avoir été remontée plus tardivement comme semble en témoigner les nombreux éléments en remploi qu’on trouve dans sa maçonnerie. On peut notamment penser que les pierres patinées gris-bleu proviennent d’un même bâtiment, détruit à l’époque où la pile est remontée.

Ce phasage est pour l’instant difficilement datable. Simplement peut-on dire que le pont-levis à flèches apparaît dans le domaine français lors du dernier tiers du XIVème siècle et se diffuse très rapidement, au point de se généraliser en un quart de siècle. Il restera jusqu’à la fin du XVIIIème siècle le principal moyen de protection externe des accès.

mardi 3 juin 2008

La croix de chemin de Beaufremont


J’ai récemment trouvé une nouvelle carte postale, présentant le calvaire de Beaufremont. C’est l’occasion d’évoquer cette croix monumentale, située près de la mairie, à l’angle sud-ouest de la basse-cour du château, au-delà du fossé. Elle a été classée monument historique le 13 août 1906 et fait partie d’un ensemble très riche de croix de chemin situées entre Neufchâteau et Châtenois.

Le monument est composé d’un fût principal de forme octogonale, supportant un décor occupant plus de la moitié de sa hauteur. Ce décor est composé de deux rangs superposés de huit arcatures chacun (une arcature par pan d’octogone), toutes ornées d’un petit pinacle trilobé qui les couronne. Sous chacune de ces arcatures sont présentés des apôtres et d’autres personnages saints.
Le sommet du fût est surmonté d’une crucifixion, avec la Vierge et saint Jean de part et d’autre de la croix. Les bras de la croix sont réunis entre eux par des lobes avec lesquels ils se confondent, et leurs extrémités sont ornées de fleurons. Enfin, au dessus de la crucifixion, dominant le monument, saint Michel, vêtu d’une tunique courte serrée à la ceinture, tient dans sa main droite une épée levée et pose sa main gauche sur la tête de Satan qui est représenté sous la forme d’un être humain. Les figures du Christ en croix, de la Vierge, de saint Jean et de saint Michel se répètent sur l’autre face du calvaire.

Je n’ai pas encore retrouvé d’archives éclairant la construction de ce monument. Seules pour l’instant la tradition locale et la publication datée de l’ouvrage de Charles Fontaine (Recueil d’anciennes croix du diocèse de Saint-Dié, Saint-Dié, 1875) permettent d’esquisser un début d’historique. Si on se réfère à ces sources, le calvaire aurait été érigé par Claude d’Arberg, qui est seigneur de Beaufremont de 1486 à 1518, à la suite d’un vœu fait durant une tempête alors qu’il était en voyage à Rome ; évidemment, je n’ai pour l’instant retrouvé aucune mention de ce voyage à Rome. Néanmoins, une datation de la fin du XVème ou début du XVIème siècle correspond parfaitement à l’étude stylistique.

La question de l’auteur de ce monument reste elle aussi délicate. Certains ont voulu y voir au XIXème siècle le coup de ciseau de Mansuy Gauvain, imagier du duc de Lorraine et auteur de la porterie du Palais Ducal de Nancy. Certes, Mansuy Gauvain était actif à la cour de Lorraine durant la première moitié du XVIème siècle et Claude d’Arberg était en relation avec le duc, mais de la à y voir une œuvre de jeunesse de cet illustre tailleur... Je plaiderais plutôt pour une attribution à un atelier local, ce qui expliquerait la richesse de cette zone en calvaires. Cette hypothèse est corroboré par François Perrot, qui s’est attaché à l’étude de certains de ces calvaires, et qui conclut sur la forte probabilité de l’existence d’un atelier de sculpteurs sur pierre au XVIème siècle dans le Pays de Châtenois, la « petite Bretagne lorraine » (Pays de Châtenois, la ruralité dans la plaine vosgienne, actes des journées d’études vosgiennes 2006, Société d’émulation des Vosges, 2007).