Les légendes ont parfois la vie dure, en particulier celles qui ont eu pour objectif de légitimer l’ancestralité des seigneurs de Beaufremont et leur ancrage originel en Bourgogne. Je me suis étonné de retrouver celles-ci évoquées l’année dernière dans un article de journal paru à propos du village de Beaufremont, présentées comme une hypothèse historique. Ces légendes ne sont pas l’histoire, mais elles font partie de l’histoire, car elles nous en apprennent beaucoup sur le message qu’un lignage a voulu distiller pour affirmer sa prééminence au moment où elles ont été élaborées, c’est-à-dire aux époques médiévale et moderne. En l’occurrence, les légendes sur les origines des seigneurs de Beaufremont devaient illustrer la devise de la famille (« Deus adest primo christiano », c’est-à-dire Dieu aide au premier chrétien) en faisant remonter son fondateur à la plus haute antiquité chrétienne possible, et témoigner de son origine bourguignonne (puisque le centre de gravité politique de la famille s’était alors déplacé au-delà des Vosges).
La légende sur les origines des seigneurs de Beaufremont apparaît en 1659 sous la plume du Père Claude Perry, dans son Histoire civile et ecclésiastique, ancienne et moderne de la ville et cité de Chalon sur Saône. Elle sera ensuite reprise par d’autres auteurs, et notamment par Thomas Varin dans son Nobiliaire du comté de Bourgogne en 1726. Selon eux, l’ancêtre des Beaufremont serait un certain Bowermund, chef de guerre burgonde qui, dans la première moitié du Vème siècle, se serait fait chrétien avec ses hommes et aurait alors pris le nom de Vavrimont (c’est à la suite de son baptême qu’il aurait pris la devise « Dieu aide au premier chrétien »). Il serait ensuite venu combattre les Huns aux côtés des légions romaines d’Aetius lors de la fameuse bataille des Champs Catalauniques (451). Toujours selon Claude Perry, repris par Thomas Varin, ce sont ses enfants qui auraient fait construire le château là où il se trouve encore aujourd’hui.
On le voit, le pas est vite franchi pour voir dans les restes les plus anciens du château de Beaufremont des vestiges de la fin du Vème siècle ou du début du VIème siècle. Il va de soi qu’une telle chronologie apparaît immédiatement farfelue pour qui s’intéresse aux fortifications médiévales, ce que confirment bien évidemment l’étude des sources d’archives et l’archéologie. L’installation d’un lignage seigneurial à Beaufremont remonte (seulement !) au début du XIIème siècle, et les vestiges du château dans son état actuel sont pour l’essentiel la marque des aménagements qu’il a connus du XIVème au XVIIème siècle. En tout état de cause, il faut rappeler que l’intérêt historique et patrimonial d’un monument ne tient pas dans son âge et qu’on aurait tort de chercher à le vieillir de façon extravagante pour lui conférer un caractère exceptionnel.
Dans un prochain message, il sera cette fois question d’une série de faux documents d’archives dont le but était aussi de réécrire les origines des seigneurs de Beaufremont.
mercredi 14 janvier 2009
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